Du 16.09.2011 au 26.11.2011
Défais, refais ! C’est un impératif qui nous enjoint de pénétrer dans l’espace d’exposition. Ordre, injonction ou conseil ? Plutôt la marque d’une nécessité : celle d’aborder le propos de l’artiste en acceptant de rejouer les images présentées, de déconstruire pour mieux assembler, de désolidariser les photographies les unes des autres pour ensuite les unifier. Sabine Meier présente au Portique une série d’autoportraits réalisés entre 2000 et 2008. Une présentation classique, évoquant la muséographie du XIXe siècle, nous accueille : les murs sont chargés, recouverts par les photographies, disposées en abondance, les unes à côté des autres. S’opère alors pour le visiteur un véritable travail sur l’œil et une méthodologie du regard s’énonce. Face à la profusion, au foisonnement, le regardant doit être actif. Un balayage visuel va permettre de choisir une photo, un détail. On défait l’image, mais aussi l’accrochage. Puis, un second mouvement va conduire à refaire ces images, c’est-à-dire à les rejouer, créant un dialogue, reconstruisant la narration en cherchant à comprendre ce que dit une image.
Durant près de dix ans, Sabine Meier a essayé de capter non son corps, non sa personne, mais la réalité du processus photographique. Comment se construit une image ? Qu’est-ce qui se donne à voir dans le cadre ? Dans un premier temps, les photographies se composent autour de trois éléments : l’appareil (assurément présent dans le cadre), le photographe et l’objet de la photographie (ce qui y est représenté). Nous découvrons alors des photographies qui tendraient à inscrire le travail dans une approche classique de l’autoportrait : représentation du sujet et mise en abyme de la démarche artistique, de la pratique. Mais, rapidement, Sabine Meier rompt avec cette approche pour privilégier la révélation, non de sa propre psyché, mais celle d’un corps qui peut être happé, capturé par l’image. De qui est-ce le corps ? Corps organique ou corps de l’image elle-même ? A mesure que l’exposition se dévoile, un voile se pose sur ce corps qui, d’une présence affirmée, tend à s’effacer. Le modèle se masque, se travestit, tantôt dans une pose rock proche de l’abandon, tantôt dans un profil hiératique proche d’un tableau flamand. Mais c’est aussi l’image elle-même qui se farde, qui se brouille, masquée de tâches et hasards qui entravent la saisie du modèle. Ce sont également les lumières qui changent, évoluent, annonçant progressivement l’effacement de la figure et faisant apparaître l’être. Le noir, loin d’être béance et gouffre, remplit l’image et révèle une intériorité enfouie. L’obscurité contient de plus en plus de présence. La tentative de capter une image de soi se transforme en image de l’autre, d’un autre. Deux autoportraits mis en regard traduisent cette fuite, l’impossible saisie. La prise de vue n’est pas une prise du « moi » car la présence, à mesure qu’elle se manifeste, se mue en une absence personnifiée par le medium photographique. Me voyant d’où il me voit met en scène cette absence : autoportrait scandant la marche vers la disparition, photo de famille en creux, où le modèle disparaît pour révéler l’appareil. Le cordon de ce dernier habite l’image : fil de la vie et du présent auquel chacun tente de s’accrocher en fixant des moments. Ces instantanés successifs ne nous racontent pas tant l’évolution du modèle que celle d’un questionnement protéiforme. Quels sont les pouvoirs du medium photographique ? Comment une image se construit-elle ? Jusqu’où peut-elle révéler et raconter ? La disparition de l’image est-elle une affirmation de la présence de l’invisible ?
L’exposition illustre le paradoxe développé par Roland Barthes dans La Chambre claire. Le titre même Défais, refais répond à ce double mouvement. C’est d’abord le studium (étude de l’information délivrée par l’image sur le photographe et ses visées) qui oriente la lecture des œuvres. Rapidement, le punctum (la piqûre, la blessure … le détail qui attire l’attention, qui surgit de l’image) s’impose pour décoder les œuvres sur un mode subjectif, une lecture personnelle. Défais, refais : tandis que le corps d’une personne, vidé de sa substance physique, devient chose, on assiste à la révélation du corps de la photographie. S’exhibe alors le processus artistique dans sa complexité. On ne voit plus l’artiste en représentation, en posture de modèle. On voit, selon la formule de Barthes, les yeux qui ont vu; non pas l’empereur, mais les yeux qui ont vu le présent de l’image. On voit la chambre noire devenir claire, révélant et masquant, jouant à défaire et refaire passé et présent. Ça a été et ça n’est plus…