LE P O R T I Q U E CENTRE RÉGIONAL D'ART CONTEMPORAIN DU HAVRE
L P

Expositions

Bianca Argimón
Catharsis

Du 05.03.2022 au 29.05.2022
Vernissage le 04.03.2022 à 18:30

" Le monde est un immense Narcisse en train de se penser. Où se penserait-il mieux que dans ses images ? Dans le cristal des fontaines, un geste trouble les images, un repas les restitue. Le monde reflété est la conquête du calme. "
- Gaston Bachelard

Aristote utilise le terme médical de catharsis (“purge”) pour décrire le mécanisme de purification que le théâtre tragique engendre sur l’esprit de son spectateur. La mise en scène de situations socialement insoutenables permet au public d’exorciser ses démons collectifs, dans un jeu de miroirs où la pitié et la terreur se mêlent au plaisir par leur mise à distance esthétique. Vingt-trois siècles plus tard, Freud identifie dans ce processus de transfert l’une des bases de la psychanalyse moderne : un “ramonage psychique” qui permet d’identifier et de sublimer les monstres endormis dans les profondeurs de nos esprits.

Catharsis, l’exposition que Bianca Argimón(1) présente au Portique, s’inscrit dans cette double lignée. L’artiste franco-espagnole y montre un ensemble d’œuvres au formats et média divers (installations, dessins, vidéo, céramiques, collages) qu’elle agence dans l’espace comme les décors d’une pièce mettant en scène les névroses qui régissent les rêves et les principes de réalité du monde contemporain. Dans la pénombre du rideau baissé, le visiteur traverse les actes d’un théâtre de l’absurde dont il est à la fois acteur et spectateur, comme le patient d’une séance de psychanalyse.

Le détournement est la figure de style privilégiée dans l’écriture plastique de Bianca Argimón. Ses œuvres retranscrivent l’actualité économique, politique et sociale diffusée par les médias en y injectant une dose d’ironie qui, tels les agents de contraste en imagerie médicale, en révèle toute l’absurdité. De la spéculation financière aux paradis fiscaux, des mégafeux indomptables à l’étouffement des luttes pour les droits civiques et sociaux, Bianca Argimón questionne les (en)jeux de pouvoir qui régissent notre époque en nous invitant à chercher l’erreur. Pour cela, l’artiste joue sur une mise à distance esthétique du temps présent. Si le cirque médiatique constitue sa principale source iconographique, elle déjoue son instantanéité en l’inscrivant dans l’histoire de l’art et se moque de son spectacle en donnant à la violence de ses images des formes douces, d’une naïveté paradoxale et déroutante. Dessinées aux crayons de couleurs, modelées dans la céramique, soufflées dans le verre ou encore tissées, les informations du direct s’affranchissent de tout pathos pour devenir des allégories qui interpellent l’esprit du spectateur.

Il en résulte des œuvres qui déroutent notre système de compréhension du monde en plaçant dans ses rouages le grain de sable du doute. Les objets sculptés frappent l’observateur par leurs anomalies logiques : un gilet de sauvetage percé de mille pins, une batte de baseball soufflée dans le verre. Les pixels du regard porté à coups de scrolls sur le réel se recomposent dans des vues d’ensemble minutieuses, dessinées à vol d'oiseau. La grande échelle des peintures d’histoire s’associe au goût du détail caustique de la Renaissance flamande, pour dresser un portrait sans concession de la condition humaine et de son organisation sociale à l’ère du capitalisme 2.0.

Loin de suggérer des remèdes aux impasses qu’elle met en exergue, l’œuvre de Bianca Argimón affirme la relativité des récits qui en sont à l’origine, et la nécessité pour chaque individu d’en questionner les implications. Si pour Albert Camus(2) la révolte constitue la seule réponse à l’absurdité, la contribution de l’art consiste à la mettre sur le devant de la scène, en affirmant que le roi est bien nu(3) et que son royaume n’est pas la seule alternative.

- Luca Avanzini
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1- Née à Bruxelles en 1988, Bianca Argimón vit et travaille à Paris. Ancienne élève du Central Saint Martins College of Art and Design, de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs et de la Rhode Island School of Design, elle est diplômée en 2015 de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris (atelier de Jean-Michel Alberola). Lauréate du Prix du dessin contemporain des Beaux-Arts de Paris / Guerlain en 2016 et du Prix Lafayette Anticipation 2018, elle est accueillie en résidence à la Casa de Velázquez (Madrid) en 2020-2021.
2- Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Editions Gallimard, Paris, 1942.
3- Hans Christian Andersen, Les habits neufs de l’empereur, 1837.

–> Dossier de presse (9.96 MB)